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Innover pour simplifier ? Ou simplifier pour mieux innover ?

26 novembre 2025 par
Innover pour simplifier ? Ou simplifier pour mieux innover ?
Marine CABUZEL

Innover à tout prix : la fausse bonne idée ?

L’innovation est censée nous faciliter la vie. Pourtant, dans les faits, chaque nouvelle couche d’innovation peut ajouter de la complexité au lieu de la réduire. De nombreuses entreprises, y compris des PME industrielles, se retrouvent ainsi avec un empilement d’outils, de processus et de technologies hétéroclites. Elles investissent dans des technologies fragmentées, ce qui engendre coûts supplémentaires, risques accrus et perte d’efficacité au quotidien. Par exemple, faute de vue d’ensemble sur leurs outils, elles en viennent parfois à acheter des logiciels en double pour des fonctionnalités qu’elles possèdent déjà. Un DSI d’une PME médiatique a même passé un an en appel d’offres pour un tableau de bord de suivi, avant de réaliser qu’un outil existant en interne pouvait répondre au besoin. C’est autant de temps et de ressources gaspillés à complexifier l’environnement plutôt qu’à le simplifier.

Ce phénomène n’épargne aucun secteur. Dans la finance, par exemple, la réglementation et les processus de contrôle se sont empilés au fil du temps au point de devenir “trop complexes, trop coûteux et trop pesants”, mobilisant d’énormes ressources au détriment de l’innovation et de l’agilité. De même, dans le domaine public, les programmes d’aide à l’innovation sont souvent si complexes que les PME peinent à en profiter. Le processus du Crédit d’Impôt Recherche en France est jugé “complexe et chronophage” au point que certaines PME renoncent carrément à y recourir. Ironie du sort, la complexité administrative prive ces entreprises du soutien même censé stimuler leur innovation.

Pourquoi en arrive-t-on là ? Parce qu’à force de vouloir innover à tout prix, on en oublie la finalité : l’innovation n’est un progrès que si elle simplifie ou améliore réellement quelque chose. Or, entassées les unes sur les autres, même les “bonnes” innovations finissent par créer un système global lourd et confus. Nous vivons une époque d’infobésité et de sophistication croissante où tout devient plus technique, plus réglementé, plus rapide – et paradoxalement plus compliqué. Pourtant, notre aspiration est claire : nous voulons plus de simplicité, à tous les niveaux de notre vie. L’expérience montre toutefois que rajouter sans cesse “du nouveau” ne résout pas forcément les problèmes. Au contraire, l’innovation aveugle peut devenir une fuite en avant, une manière de colmater les brèches d’un navire qui prend l’eau au lieu de réparer la coque. C’est le syndrome du « toujours plus », qui fait perdre de vue l’essentiel.

Moins de complexité, plus d’innovation

Et si la véritable révolution était de faire moins, mais mieux ? Plutôt que d’empiler des nouveautés, il faut commencer par alléger l’existant.** Simplifier est un acte courageux d’abandon : c’est accepter de retirer ce qui n’est pas indispensable afin de libérer de l’espace pour l’essentiel. 

Antoine de Saint-Exupéry l’exprimait ainsi : « La perfection est atteinte non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer. »

Autrement dit, l’excellence naît de l’épure. Cette quête de simplicité est exigeante – il faut parfois remettre en cause d’anciens processus, bousculer des habitudes bien ancrées, voire renoncer à certaines fonctionnalités séduisantes mais superflues. Mais l’enjeu en vaut la chandelle, car au bout du chemin c’est “moins, mais mieux” : moins de gras, plus de valeur.

Les approches Lean l’ont compris de longue date : éliminer les gaspillages et standardiser les processus permet de gagner en efficacité et en flexibilité, ce qui pose les bases d’une innovation durable. Simplifier crée un cercle vertueux. En clarifiant les opérations, on libère du temps, de l’argent et de l’énergie qui pourront être réaffectés à l’innovation réelle (développement produit, amélioration du service client, etc.). À l’inverse, une organisation engluée dans la complexité consomme toutes ses ressources à éteindre des feux et à faire tourner une usine à gaz – elle n’a plus de capacité d’innovation. La simplicité devient alors le terreau fertile où les idées neuves peuvent germer.

Simplifier ne veut pas dire banaliser ou appauvrir. Il ne s’agit pas de “dérégler” complètement la machine ou de jeter aux orties tout ce qui existe. Il s’agit de faire le tri entre ce qui apporte de la valeur et ce qui n’en apporte pas (ou plus). Dans une PME industrielle, cela peut signifier par exemple : réduire le nombre d’indicateurs suivis au quotidien pour ne garder que les plus pertinents, alléger les procédures internes trop lourdes, consolider sur une plateforme unique plusieurs outils logiciels redondants, ou encore rationaliser le catalogue de produits pour se concentrer sur les best-sellers. “La simplicité est la sophistication suprême”, rappelait Léonard de Vinci, soulignant qu’il est souvent plus difficile d’atteindre la simplicité que de céder à la complexité. Cette difficulté ne doit pas décourager – au contraire, elle doit nous motiver à innover dans la simplification de nos façons de faire.

Concrètement, comment procéder ? On peut s’inspirer de la méthode préconisée par Denis Beau (Banque de France) dans le domaine financier, qui vaut pour n’importe quelle organisation :

  • Cartographier les processus lourds et complexes existants afin d’identifier précisément ce qui coince (goulots d’étranglement, redondances, tâches sans valeur ajoutée…).

  • Simplifier ces processus en revoyant leur conception : éliminer les étapes superflues, clarifier les rôles, standardiser les données et les formats. Cette étape est primordiale et doit précéder toute informatisation : « il est souvent plus efficace de penser à simplifier les processus eux-mêmes avant de se lancer dans la construction d’outils ». Si un processus est mal fichu, l’automatiser ne fera que “transférer la charge de complexité” à l’outil et à ceux qui devront le maintenir. En somme, « un processus complexe aboutira à un outil complexe », difficile à maintenir et à comprendre sur le long terme.

  • Innover ensuite avec discernement, en déployant des outils ou technologies sur cette base simplifiée. Il s’agit d’utiliser l’innovation pour amplifier l’efficacité d’un processus déjà optimisé. Par exemple, une fois un flux de travail clarifié, on peut introduire un logiciel ou de l’automatisation pour gagner encore en rapidité et en fiabilité. Cette approche garantit que la technologie vient en appui “juste là et quand il le faut”, au service d’un processus rendu simple et efficace.

En suivant ces étapes, on s’assure que l’objectif de simplification reste au cœur de la démarche, et que l’innovation apportée ne devient pas une « béquille » pour compenser des faiblesses structurelles. Bien au contraire, l’innovation peut alors jouer pleinement son rôle transformateur. Une organisation allégée et recentrée sur l’essentiel est beaucoup plus réceptive aux nouvelles idées : chaque technologie adoptée a un impact maximal, chaque amélioration incrémentale se diffuse plus rapidement.

La simplicité, l’innovation la plus audacieuse ?

Réduire la complexité n’est pas un aveu de faiblesse – c’est au contraire un acte stratégique audacieux. Dans un monde où la surenchère technologique fait loi, choisir la voie de la simplicité peut sembler provocant, presque à contre-courant. Pourtant, les bénéfices sont bien réels. En optant pour des solutions standard, fiables et éprouvées au lieu de multiplier les systèmes exotiques, on accélère l’innovation et on crée plus de valeur pour le client. Les équipes, moins dispersées, peuvent concentrer leurs efforts sur ce qui fait vraiment la différence. Même les infrastructures techniques gagnent à être simplifiées : Orange France, par exemple, a réussi à faire tourner le même nombre d’applications sur dix fois moins de serveurs en migrant vers un cloud privé de nouvelle génération – un saut technologique synonyme de simplification, d’efficacité accrue et de réduction de l’empreinte environnementale.

En fin de compte, innover pour simplifier et simplifier pour innover sont les deux faces d’une même pièce. L’un ne va pas sans l’autre. Pour les PME industrielles, cela signifie qu’il faut arrêter de voir la simplicité comme l’ennemie de l’innovation. Au contraire, la simplicité bien pensée est un accélérateur d’innovation. Et l’innovation, lorsqu’elle est guidée par la quête de simplicité, déploie tout son potentiel. Plutôt que de foncer tête baissée vers chaque nouvelle technologie à la mode, il vaut mieux prendre un temps de recul, faire le vide, et poser cette question fondamentale : cette nouveauté va-t-elle réellement simplifier ou améliorer un aspect crucial de mon entreprise ? Si la réponse est non, alors on peut s’en passer. Si c’est oui, alors elle mérite d’être intégrée – mais de manière raisonnée, sur un terrain préparé par la simplification.

La véritable innovation, pour nos PME, réside peut-être là : dans l’art de faire simple quand tout pousse à complexifier. Oser la simplicité, c’est innover différemment, avec intelligence et humilité. C’est refuser la fuite en avant technologique pour bâtir sur des fondations solides. En somme, c’est simplifier pour mieux innover, afin d’innover pour ce qui compte vraiment – et enfin retrouver ce bon sens parfois perdu dans les méandres de la complexité. Alors, prêts à faire de la simplicité votre nouvelle stratégie d’innovation ?

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