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Cartographier ses concurrents : matrice prix/valeur perçue

8 novembre 2025 par
Cartographier ses concurrents : matrice prix/valeur perçue
Marine CABUZEL

Nous évoluons dans des marchés compétitifs où il est crucial de clarifier notre positionnement stratégique par rapport à nos concurrents. Pour des dirigeants de PME ou responsables marketing, visualiser où se situent les offres concurrentes peut sembler complexe, mais un outil simple et concret existe : la matrice prix/valeur perçue. Dans cet article, nous allons expliquer en quoi consiste cette matrice, comment l’utiliser pour cartographier nos concurrents et quelles enseignements stratégiques en tirer. Du décryptage des axes (prix perçu vs valeur perçue) à des exemples concrets B2B et B2C, nous proposerons également une méthode pas à pas pour construire votre propre matrice. L’objectif : qu’à la fin de cette lecture, nous soyons en mesure de positionner clairement chaque acteur du marché et d’orienter nos choix de différenciation ou d’innovation en conséquence.

Qu’est-ce que la matrice prix/valeur perçue ?

La matrice prix/valeur perçue est un cadre d’analyse stratégique qui permet de placer des produits ou services (ceux de notre entreprise et de nos concurrents) selon deux dimensions : le prix facturé d’une part, et la valeur perçue offerte au client d’autre part. En la représentant sous forme de graphique, chaque offre se retrouve à une position donnée, ce qui donne une cartographie visuelle du positionnement de l’ensemble des acteurs sur le marché. Cet outil fournit un instantané de la stratégie de chaque concurrent : le rapport entre combien il fait payer (axe du prix) et ce qu’il apporte aux clients selon ces derniers (axe de la valeur). En un coup d’œil, nous pouvons identifier si une offre se veut premium (prix élevé justifié par une forte valeur ajoutée), économique (prix bas pour une valeur modeste), ou encore si elle paraît surdimensionnée (trop chère pour sa valeur) ou au contraire une bonne affaire (beaucoup de valeur pour un prix compétitif).

Traditionnellement, on distingue quatre grands quadrants de positionnement dans cette matrice prix-valeur :

Prix élevé / Valeur perçue élevée


C’est le domaine des offres premium, dont le prix élevé est compensé par une valeur exceptionnelle aux yeux du client. Une telle offre se présente comme un investissement valable pour le client. Exemples B2C: une voiture électrique Tesla Model S, chère mais à la pointe de la technologie, offrant performances et durabilité, ou un billet d’avion en classe affaires, onéreux mais avec un service haut de gamme (sièges spacieux, repas gastronomiques, etc.). Exemple B2B: un logiciel professionnel ultra-complet et fiable, proposé à un tarif premium, pourra être perçu comme un choix judicieux par une entreprise exigeante en raison des fonctionnalités avancées et du support expert inclus.



Prix bas / Valeur perçue élevée


Ce quadrant correspond aux offres à excellent rapport qualité-prix, parfois appelées offres “Valeur”. Ici le client obtient beaucoup de valeur pour un tarif relativement bas. Ces offres attirent une large clientèle en étant perçues comme de véritables bonnes affaires. Exemples B2C: les meubles IKEA, à la fois fonctionnels et design, vendus à des prix abordables – les clients estiment en avoir “pour leur argent” voire plus. Ou encore, un abonnement Google Workspace (suite d’outils bureautiques en ligne) à prix modéré, qui offre pourtant une palette complète de fonctionnalités professionnelles accessible aux petites entreprises. Exemple B2B: un éditeur de logiciel SaaS qui propose 80 % des fonctionnalités des leaders du marché mais à un coût mensuel très compétitif peut se positionner dans cette case – une proposition très attractive pour les PME, qui voient une forte valeur d’usage pour un investissement réduit.

Prix bas / Valeur perçue faible


Ce dernier quadrant représente les offres “premier prix” ou basiques. Le produit y est peu différencié, fournit des bénéfices limités, mais son faible coût est son argument principal. On est souvent sur du commodity (produit banalisé) où la guerre des prix fait rage. Exemples B2C: les céréales de marque de distributeur, sans fioritures ni ingrédient innovant, vendues à très bas prix pour un besoin alimentaire de base. Ou les compagnies aériennes low-cost : service minimal (aucun extra offert) mais tarifs imbattables pour simplement aller d’un point A à un point B. Exemple B2B: un fournisseur de matières premières industrielles génériques qui n’apporte pas de service additionnel, ne peut concurrencer que par des prix cassés pour emporter les contrats – ici la valeur perçue est faible, mais le prix aussi, ce qui peut convenir à des clients uniquement soucieux de leur budget.



Prix élevé / Valeur perçue faible

Ce quadrant illustre les offres dites “trop chères” ou surévaluées. Le prix demandé y dépasse nettement la valeur réelle perçue par le client. Ces produits ou services risquent de générer de la dissatisfaction, car le client a l’impression de ne pas en avoir pour son argent. Exemples B2C: certaines marques d’eau “de luxe” qui vendent de l’eau en bouteille à prix exorbitant malgré une valeur d’usage quasi nulle, ou certains articles de mode où le tarif est surtout lié au prestige de la marque plutôt qu’à la qualité intrinsèque du produit. Exemple B2B: le cas d’une gamme de fournitures industrielles haut de gamme vendue très cher mais sans avantage notable par rapport à des alternatives plus modernes. Un cas réel évoqué dans le secteur du nettoyage professionnel décrit des serpillières “premium” fabriquées en France avec un bel aspect, dont les ventes ont déçu car le produit, très coûteux, n’apportait au final que peu de bénéfices aux utilisateurs (lourd, peu pratique, pas plus efficace). Ce produit, positionné en haut prix / faible valeur, a subi l’arrivée de concurrents innovants (serpillières microfibres jetables, plus légères et bon marché) et en a fait les frais – signe qu’un positionnement “trop cher” est difficilement tenable face à une concurrence qui offre mieux pour moins cher.


Exemple d’une matrice prix/valeur perçue permettant de positionner différentes offres. La diagonale centrale (de l’offre “économie” en bas à gauche à l’offre premium en haut à droite) représente un alignement normal entre prix et qualité perçue (« bon rapport qualité-prix »). En s’éloignant de cette diagonale, on identifie des positions déséquilibrées : au-dessus, des offres surévaluées (prix trop haut pour la valeur délivrée), en dessous, des offres sous-évaluées (beaucoup de valeur pour un prix relativement faible).

Comme le montre l’illustration ci-dessus, la matrice nous aide à visualiser l’équilibre ou le déséquilibre du positionnement de chaque concurrent. Une offre située proche de la diagonale « qualité-prix alignés » est perçue comme “juste” – le client en a pour son argent. À l’inverse, plus un point s’éloigne vers le haut-gauche, plus l’offre est perçue comme chère par rapport à sa valeur (risque de “rip-off” ou arnaque). S’il s’éloigne vers le bas-droite, l’offre paraît très avantageuse (presque “trop” pour être soutenable – on parle de “superbe valeur” du point de vue client). En cartographiant ainsi l’ensemble des produits concurrents, nous faisons apparaître des zones saturées, des niches et d’éventuels déséquilibres du marché. Par exemple, si nous constatons que tous nos concurrents se concentrent dans une même zone, disons une gamme économique (prix et valeur faibles), cela indique une zone saturée : le marché d’entrée de gamme est encombré, la différenciation y est difficile et les marges sans doute réduites. Au contraire, s’il existe un quadrant vide ou très peu occupé, cela suggère une niche inexploitée : peut-être aucun acteur n’offre aujourd’hui une solution à forte valeur ajoutée pour un prix abordable, ou bien il n’y a pas encore de véritable offre premium sur un segment donné – autant d’opportunités potentielles. Enfin, la cartographie met en lumière les déséquilibres individuels : un concurrent isolé en position très haut prix pour peu de valeur apparaît vulnérable (ses clients risquent de chercher mieux ailleurs), tandis qu’un acteur offrant beaucoup plus de valeur que le prix ne le reflète pourrait gagner des parts de marché (ou relever ses prix à terme). Ainsi, lire la matrice, c’est détecter où la concurrence se fait la plus rude, où se situent les espaces stratégiques vacants, et qui sort des normes du marché (pour le meilleur ou pour le pire).

Les deux axes : prix perçu vs valeur perçue

Pour construire et exploiter une matrice prix/valeur perçue, il faut bien comprendre les deux axes qui la composent :

L’axe vertical : le prix perçu.

Il représente le niveau de prix tel que perçu par le client – en pratique, cela correspond assez directement au prix affiché ou facturé pour l’offre, puisque le client connaît le tarif. On parle de “prix perçu” car ce qui compte est la perception qu’a le marché du niveau de prix : est-ce une offre bon marché, milieu de gamme, ou chère par rapport aux autres ? Cet axe va du faible (en bas, offre perçue comme “économique”) au élevé (en haut, offre perçue comme coûteuse/premium). Définir le prix perçu est généralement le plus simple : il suffit de recueillir les tarifs publics de chaque produit concurrent et de les comparer. Par exemple, si nos concurrents vendent des abonnements mensuels allant de 50€ à 150€, une offre à 49€ sera clairement perçue comme très bon marché, tandis qu’une à 149€ sera vue comme premium. On peut quantifier le prix perçu en indexant chaque offre par rapport à la moyenne du secteur ou en la classant par quartiles de prix. L’important est de positionner honnêtement chaque acteur sur cet axe en fonction de la réputation de ses tarifs.

L’axe horizontal : la valeur perçue.

C’est l’évaluation de la valeur apportée au client, telle que lui la ressent. Cette notion de valeur perçue va bien au-delà des caractéristiques techniques du produit : elle inclut les bénéfices directs et indirects pour le client, y compris des dimensions émotionnelles ou intangibles. Autrement dit, c’est ce que vaut à ses yeux l’offre, en tenant compte de tout ce qu’il reçoit et de ce qu’il donne en échange (le prix justement). La valeur perçue dépend de nombreux facteurs : qualité effective du produit, niveau de service associé, image de marque, notoriété, expérience utilisateur, satisfaction passée, etc.. Par exemple, la valeur perçue d’un smartphone inclut la performance technique, mais aussi le design, la facilité d’utilisation, le prestige de la marque, l’écosystème d’applications, la longévité... Si un client estime qu’un modèle lui apportera une grande satisfaction sur ces plans, la valeur perçue est élevée – même si objectivement le coût de fabrication n’est pas très différent d’un modèle concurrent. Sur notre matrice, l’axe valeur va de faible à gauche (offre perçue comme basique, peu bénéfique) à élevée à droite (offre perçue comme très riche en bénéfices et qualité). Contrairement au prix, la valeur perçue ne se lit pas dans un chiffre unique : il faut la mesurer ou l’estimer. Pour ce faire, nous pouvons interroger les clients (enquêtes, retours d’expérience) sur ce qu’ils pensent de chaque marque/produit, ou utiliser des indicateurs indirects : notes et avis clients sur internet, récompenses reçues, réputation de fiabilité, part de marché (qui peut refléter une préférence), etc. Souvent, il est efficace d’attribuer une note de valeur perçue à chaque offre sur une échelle (par exemple de 1 à 10) en fonction de critères comme la qualité, l’innovation et l’image. L’essentiel est de rester cohérent dans l’évaluation pour pouvoir comparer objectivement la proposition de valeur de chaque concurrent.


Positionner les acteurs sur la matrice revient donc à évaluer chaque concurrent selon ces deux axes. Concrètement, pour chaque offre concurrente (incluant la nôtre), nous nous posons deux questions clés : “Quel est le niveau de prix (perçu) ?” et “Quel est le niveau de valeur perçue pour le client ?”. Par exemple, un concurrent A peut vendre son service 20 % moins cher que la moyenne du marché (prix perçu bas) mais avec un service client impeccable et des fonctionnalités robustes (valeur perçue élevée). Il se situera vers le bas-droit de notre graphe. Un concurrent B, lui, facture peut-être deux fois plus cher que les autres (prix perçu élevé) pour une qualité à peine supérieure (valeur perçue légèrement au-dessus de la moyenne) – il sera proche du haut-gauche, signalant un positionnement potentiellement “surchargé”. Cet exercice de placement peut combiner données objectives et jugement : les prix sont factuels, la valeur perçue demande une bonne connaissance du marché. N’hésitons pas à croiser plusieurs sources pour juger de la valeur : par exemple, si un produit concurrent obtient régulièrement des retours négatifs des clients sur sa facilité d’utilisation, on pourra le noter plus bas en valeur perçue malgré un marketing promettant monts et merveilles. Enfin, notons que la matrice peut se construire pour un marché global ou par segment de clientèle : la valeur perçue peut différer selon les segments (PME vs grands comptes en B2B, grand public économique vs luxe en B2C). Il est parfois pertinent de faire plusieurs matrices si nos segments de clients perçoivent différemment la valeur des acteurs.

Exemples concrets de cartographie concurrentielle (B2C et B2B)

Prenons maintenant du recul et illustrons comment cette matrice fonctionne dans la pratique, à travers des exemples concrets en B2C (grand public) et B2B (entreprises). Cela nous permettra de voir comment interpréter les zones saturées, niches ou déséquilibres sur un cas réel.

Exemple B2C : le marché des smartphones. cartographie concurrentielle :marché des smartphones.Ce marché très concurrentiel compte des acteurs multiples qu’on peut placer sur notre matrice prix-valeur. En bas à gauche, on trouve de nombreux fabricants d’entrée de gamme (zone saturée) : des dizaines de modèles à bas prix, de qualité et de performance modestes – ils couvrent les besoins de base mais sans plus. C’est un segment “Low cost” saturé, où chaque marque rivalise surtout sur le prix (beaucoup de téléphones bon marché aux fonctionnalités limitées se partagent le marché). À l’opposé, tout en haut à droite, se tient Apple avec l’iPhone : une position premium (prix très élevé / valeur perçue très élevée). Grâce à un design soigné, une intégration logicielle excellente et un branding fort, Apple peut maintenir des prix supérieurs, sa clientèle percevant une valeur unique dans l’écosystème proposé (innovation, image de statut, qualité supérieure). Cette niche du très haut de gamme est occupée quasi exclusivement par Apple – ce qui lui confère une marge confortable, mais ouvre aussi la porte à d’éventuels challengers capables d’offrir une valeur équivalente. Entre les deux, le gros du marché se répartit autour de la diagonale qualité-prix : par exemple, Samsung ou d’autres grandes marques proposent des modèles milieu de gamme à prix modérés pour une valeur perçue correcte (on en a pour son argent, sans extravagance). Une niche intéressante est apparue il y a quelques années en bas à droite : certains nouveaux entrants comme OnePlus (à ses débuts) ou Xiaomi ont offert des smartphones de haute qualité (écran, caméra, performances) à un prix étonnamment bas – un déséquilibre volontaire en faveur du consommateur (valeur forte pour prix faible). Cette stratégie “value for money” agressive a permis à ces acteurs de se faire une place en attirant des clients recherchant le meilleur rapport qualité-prix. Elle a également bousculé la concurrence : les marques établies ont dû s’ajuster, soit en baissant certains prix, soit en renforçant leur valeur perçue (ajout de nouvelles fonctionnalités, services additionnels) pour justifier leur position. Enfin, on peut identifier sur le marché certains modèles spécifiques qui n’ont pas trouvé leur public car mal positionnés – par exemple un smartphone de marque inconnue lancé à un tarif proche d’un iPhone sans en offrir la qualité ni l’expérience équivalente aurait été placé en haut-gauche (trop cher) et aurait sans doute été un échec commercial. Ce type de lecture de la matrice smartphones nous montre où tout le monde se bat (segment budget saturé), qui occupe les créneaux rentables (Apple en ultra-premium, sans concurrence directe comparable), et où il y a eu de la disruption (les challengers “flagship killer” offrant luxe à bas prix, profitant d’un déséquilibre temporaire du marché).

Exemple B2B : logiciels de gestion d’entreprise. Cartographie concurrentielle : Le marché des logicielsImaginons maintenant une matrice prix/valeur perçue appliquée à des solutions de logiciels SaaS (Software-as-a-Service) de gestion pour PME. En bas à gauche, on trouve peut-être des solutions open-source ou basiques, à très faible coût (voire gratuites) mais dont la valeur perçue est limitée : elles offrent des fonctionnalités réduites, peu de support client – juste assez pour des petites structures au budget quasi nul. C’est une zone possiblement saturée en offres gratuites ou bon marché, où la concurrence se fait sur des détails car la valeur reste faible pour toutes. À l’opposé, en haut à droite, figurera un acteur comme Salesforce (offre haut de gamme) ou un ERP d’envergure : prix d’abonnement très élevé, mais avec une richesse fonctionnelle énorme, une intégration avancée, un support premium, et une marque reconnue. Ces solutions sont perçues comme à très haute valeur ajoutée (elles peuvent transformer le business du client, apporter efficacité et analyses poussées), ce qui justifie aux yeux du client professionnel un prix important. Ce segment premium B2B est généralement moins encombré (peu d’acteurs capables d’offrir autant de valeur), mais les clients y sont exigeants. Entre les deux, se situe la majorité des éditeurs SaaS, alignant relativement bien leur prix sur la valeur : par exemple un logiciel de comptabilité en ligne à tarif moyen offrant un ensemble de fonctionnalités standard et une bonne fiabilité, sans plus – c’est correct pour son prix aux yeux des utilisateurs. Cependant, on observe souvent des déséquilibres intéressants : si un nouvel entrant propose un outil innovant presque aussi complet que les leaders mais à un prix beaucoup plus abordable, il se place volontairement en position valeur élevée / prix bas. C’est un pari pour pénétrer le marché en offrant un surplus de valeur au client – une stratégie d’acquisition qui peut indiquer une niche opportuniste (attirer les PME délaissées par les offres premium trop chères). Inversement, il arrive qu’un éditeur historique maintienne des tarifs élevés alors que son produit n’évolue plus beaucoup : la valeur perçue par les clients stagne ou baisse (par exemple, manque de mises à jour, interface vieillissante) tandis que le prix reste premium. Ce concurrent glisse vers la zone “trop cher” de la matrice. C’est une situation dangereuse pour lui, car cela crée une ouverture pour la différenciation : d’autres fournisseurs peuvent se positionner sur une meilleure valeur ou un prix plus juste pour récupérer ses clients. En résumé, la matrice B2B permet de repérer si tout le monde se concentre sur les mêmes segments (ce qui peut signifier qu’il faut chercher à se démarquer), s’il existe des créneaux peu exploités (par exemple, aucune offre moyenne gamme n’adresse tel besoin métier spécifique), ou si certains concurrents ont un positionnement bancal (valeur insuffisante vs prix) – souvent le signe d’une opportunité de marché pour nous.

Ces exemples B2C et B2B montrent bien comment la matrice prix/valeur perçue sert à lire le paysage concurrentiel. On y voit les concentrations de concurrents (et donc l’intensité concurrentielle et la pression sur les prix ou l’innovation), les espaces libres où innover ou se nicher, et les positions atypiques (déséquilibrées) qui signalent soit un concurrent vulnérable, soit un concurrent très disruptif. Pour exploiter ces enseignements dans nos décisions, encore faut-il savoir construire correctement cette matrice pour notre propre marché. Voyons cela étape par étape.

Méthode pas à pas pour construire sa propre matrice prix/valeur perçue

Construire notre matrice personnalisée de positionnement concurrentiel demande une démarche structurée. Voici une méthode en plusieurs étapes pour y parvenir, de la collecte des données jusqu’à l’analyse stratégique :

1. Délimiter le périmètre et la liste des concurrents

Commencez par définir quelles offres et quels acteurs vous allez positionner. S’agit-il de l’ensemble du marché ou d’un segment précis ? Identifiez vos concurrents directs (ceux qui adressent le même besoin avec des produits similaires) ainsi que les solutions alternatives que vos clients pourraient considérer (concurrents indirects). Par exemple, pour une PME dans le logiciel de gestion, les concurrents directs sont d’autres éditeurs de logiciels comparables, tandis que des tableaux Excel peuvent être un concurrent indirect (solution de remplacement). Incluez également votre propre offre dans la liste, car l’objectif est de voir où nous nous situons par rapport aux autres. Cette étape de cadrage clarifie le champ de bataille : il vaut mieux une matrice focalisée sur nos vrais concurrents qu’un fourre-tout trop large.

2. Collecter les données sur chaque concurrent

C’est l’étape la plus chronophage, mais cruciale. Rassemblez les informations sur le prix de chaque produit/service concurrent et sur les éléments permettant d’évaluer sa valeur perçue. Pour les prix, recherchez les tarifs publics : pages “tarifs” sur les sites web concurrents, brochures, catalogues, ou demandes de devis si nécessaire. Notez les prix de référence (par ex. prix de base mensuel, prix moyen d’une commande, etc.). Ensuite, documentez tout ce qui touche à la proposition de valeur : quelles sont les caractéristiques clés du produit ? quelles fonctionnalités ou qualités mettent-ils en avant ? La communication marketing nous apprend souvent comment la marque veut être perçue (innovante, haut de gamme, meilleure qualité, etc.). Allez également voir les avis clients et notations sur internet (sites d’avis, plateformes comme Trustpilot, G2 Crowd, etc.) : ces retours donneront des indices sur la satisfaction des utilisateurs, les points forts/faibles perçus. Par exemple, un concurrent avec une note moyenne de 4,5/5 sur un gros volume d’avis est probablement perçu comme offrant une bonne valeur. Recherchez des études de cas, témoignages ou tout élément public qui peut révéler comment les clients jugent le produit (fiabilité, service, ROI…). Chaque donnée collectée va servir à nourrir votre évaluation du positionnement prix et valeur.

3. Définir les axes et critères d’évaluation

Une fois les données brutes en main, il faut établir notre échelle de mesure pour placer les concurrents. Pour l’axe Prix, comme évoqué plus haut, nous pouvons soit utiliser les valeurs monétaires réelles (si l’échelle est gérable, par ex. prix annuel en milliers d’euros), soit les convertir en une note relative. Une méthode courante est de donner une note de 1 à 10 en prix perçu : 1 = le moins cher du panel, 10 = le plus cher, et les autres se répartissent proportionnellement en fonction du tarif. Cela permet de lisser les disparités et de garder la même échelle que pour la valeur. Pour l’axe Valeur perçue, il faut agréger vos observations qualitatives en une notation cohérente. Décidez de 3 ou 4 critères principaux qui composent la valeur pour vos clients (par ex. qualité du produit, niveau de service, réputation de la marque, facilité d’utilisation, performances…). Attribuez un score à chaque concurrent sur chacun de ces critères (par exemple de 1 à 5), puis combinez-les en une note globale sur 10 de la valeur perçue. Ici encore, vous pouvez utiliser le comparatif : 10 = l’offre la plus valorisée (celle à qui on donnerait la meilleure note globale), 1 = l’offre la moins valorisée, et les autres entre deux. L’important est de rester objectif et constant dans votre notation – basez-vous sur les faits collectés. Si possible, validez en interne avec d’autres avis (équipe commerciale ou SAV qui entendent les retours des clients). En synthèse, à la fin de cette étape, chaque concurrent (y compris nous) devrait avoir deux scores standardisés : un score de prix perçu et un score de valeur perçue.

4. Positionner les concurrents sur la matrice

Munissez-vous d’un graphique (une simple feuille quadrillée, un tableur ou un outil en ligne fait l’affaire). Tracez l’axe vertical des prix (bas en bas, élevé en haut) et l’axe horizontal des valeurs (faible à gauche, élevée à droite). Reportez chaque concurrent sous forme d’un point à l’intersection de son score de prix et de valeur. N’hésitez pas à annoter le point avec le nom ou un symbole pour chaque marque. Si certaines offres se regroupent très proches, cela forme un cluster. Vous verrez peut-être se dessiner la fameuse diagonale prix=valeur – et qui s’en écarte. C’est la cartographie concurrentielle résultante. Vérifiez qu’elle vous semble fidèle à la réalité du marché (sinon, ajustez éventuellement vos notations). Il peut être utile de segmenter visuellement la matrice en zones (quadrants) pour repérer qui est premium, qui est entrée de gamme, etc. Par exemple, tracez une ligne horizontale et verticale correspondant à la moyenne de chaque axe, vous obtenez 4 quadrants (hauts/bas prix vs haute/faible valeur). Placez éventuellement une courbe diagonale indicative où prix et valeur seraient équilibrés – cela servira à l’analyse. À ce stade, vous avez sous les yeux une carte stratégique de votre marché.

5. Analyser et interpréter la matrice

C’est ici que nous tirons les enseignements stratégiques de la carte. Analysez d’abord la répartition globale : les concurrents sont-ils très concentrés dans un quadrant ? Par exemple, s’ils sont nombreux dans “prix bas/valeur basse”, c’est un océan rouge de low-cost – signe qu’innover par la valeur ou se différencier hors prix pourrait être payant. Y a-t-il au contraire un espace vide ? Si aucune offre n’est en “prix élevé/valeur élevée” (premium), cela peut indiquer un creux où personne n’a (encore) pris position – peut-être existe-t-il une clientèle prête à payer plus pour mieux, qui n’est pas servie. Observez ensuite votre position relative : sommes-nous collés au peloton, ou à l’écart ? Si notre point est sur la diagonale et proche de beaucoup d’autres, notre offre risque d’apparaître banale – comment en sortir ? Si nous sommes très à droite (valeur forte) mais aussi nettement en dessous en prix, sommes-nous en train de sous-monétiser notre offre (et attirer tous les clients par un dumping) ou est-ce une stratégie voulue pour gagner des parts de marché rapidement ? À l’inverse, si nous nous découvrons en haut-gauche (cher pour peu de valeur), attention : soit notre valeur perçue est insuffisante et il faut d’urgence la renforcer, soit nos prix sont trop ambitieux et il faudra réaligner. Repérez les déséquilibres notables : tel concurrent isolé au-dessus de la diagonale (signe qu’il sur-facture sa proposition) pourrait perdre des clients insatisfaits – une opportunité pour nous de récupérer ces mécontents en communiquant sur notre meilleur rapport qualité-prix. Un autre, situé bien en dessous de la diagonale (offre généreuse à prix modéré), attire sans doute la sympathie du marché – est-ce soutenable pour lui ? Devons-nous nous aligner ou au contraire mettre en avant la qualité supérieure justifiant notre prix ? Enfin, cherchez les corrélations : la plupart des concurrents sérieux devraient se regrouper autour d’une certaine ligne de tendance prix-valeur (loi du marché). Ceux qui s’en écartent fortement posent question – ce sont soit des leaders très différenciés (ex : marque ultra-luxe assumant un surcoût, ou au contraire un acteur à but non lucratif cassant les prix), soit des faiblesses à exploiter (positionnements non optimaux).

En suivant ces étapes, nous obtenons une matrice solide et exploitable. Il ne reste plus qu’à s’en servir pour guider nos choix stratégiques, notamment en matière de différenciation et d’innovation.

De la cartographie à la stratégie : différenciation et innovation

Une matrice prix/valeur perçue n’est pas une fin en soi – c’est un outil d’aide à la décision. Une fois notre cartographie concurrentielle établie, comment l’utiliser concrètement pour orienter notre positionnement, nos offres et notre stratégie d’entreprise ? Voici plusieurs leviers à considérer :

  • Se différencier dans un marché saturé : Si la matrice révèle une zone saturée où tous les concurrents se ressemblent, cela crie l’opportunité de se démarquer. Par exemple, si nous voyons que toutes les offres concurrentes sont agglutinées en bas-gauche (prix bas, valeur faible), il est difficile de gagner en étant juste “un de plus” : nous pourrions choisir de monter en valeur (améliorer significativement la qualité, ajouter des services, innover sur des fonctionnalités clés) afin de nous déplacer vers la droite du graphique, quitte à justifier un prix un peu plus élevé. Inversement, si tout le monde est en milieu-haut de gamme, format premium, cela peut laisser la place pour une offre plus accessible financièrement (“alternative plus abordable”) tout en gardant assez de valeur. La matrice nous aide à visualiser ces contre-pieds stratégiques : aller là où les autres ne sont pas. Bien sûr, il faut s’assurer qu’un segment de clients existe pour une offre différenciée, mais souvent la différenciation consiste précisément à offrir une proposition unique dans un océan d’offres similaires.

  • Exploiter une niche inoccupée : Repérez les espaces vierges sur votre matrice – ce sont potentiellement des niches de marché. Par exemple, si aucun concurrent n’est positionné en “valeur très élevée / prix modéré”, peut-être y a-t-il une opportunité de proposer un produit innovant, très qualitatif, à un prix intermédiaire pour rafler la mise. De même, une absence d’offre premium sur un segment peut indiquer que personne n’a encore répondu aux attentes des clients les plus exigeants/prêts à payer. Une entreprise agile peut décider d’investir ce quadrant inexploité : la matrice sert alors de boussole pour orienter nos efforts d’innovation. Comme le suggèrent certains spécialistes, on peut identifier les lacunes du marché et tenter de les combler en créant une nouvelle offre là où la matrice montre un trou. Attention, occuper une niche requiert d’être légitime sur les critères de valeur attendus (on ne peut pas décréter qu’on est premium, il faut en avoir les attributs), mais la matrice nous aide à formuler l’hypothèse qu’“il manque quelque chose ici, et nous pouvons le proposer”.

  • Réajuster son offre en cas de déséquilibre : Si notre propre positionnement apparaît désaligné par rapport au marché (ex: nous sommes relativement plus chers pour moins de valeur que d’autres), c’est un signal d’alarme à prendre au sérieux. Deux grandes options stratégiques s’offrent à nous : renforcer la valeur perçue ou ajuster le prix. Renforcer la valeur peut passer par l’amélioration du produit (ajouter des fonctionnalités demandées, augmenter la qualité de fabrication, améliorer l’UX), par des services additionnels (support client réactif, garantie étendue, personnalisation) ou par un travail sur la marque (branding, communication de nos engagements, etc. qui augmentent la confiance et l’attrait). L’idée est d’augmenter ce que le client reçoit, pour justifier le maintien d’un prix élevé. C’est ce qu’a fait, par exemple, une entreprise technologique qui, voyant que les clients valorisent particulièrement la durabilité et la qualité des appareils photo sur les smartphones, a décidé d’suréquiper son modèle phare de fonctionnalités avancées sur ces points pour accroître fortement la valeur perçue, et pu ainsi en demander un prix plus élevé que les concurrents moins performants. À l’inverse, si nous concluons que nous ne pouvons pas augmenter suffisamment la valeur à court terme, il faut envisager de réduire le prix pour revenir à un alignement acceptable. Mieux vaut une marge un peu plus faible que de perdre la confiance des clients parce qu’ils jugent notre produit trop cher pour ce qu’il apporte. La matrice sert ici de garde-fou pour éviter les écarts prolongés : toute position trop au-dessus de la diagonale (surdimensionnée) ou trop en dessous (valeur bradée) doit être stratégique et temporaire, sinon elle met en péril soit la satisfaction client, soit la rentabilité.

  • Affiner sa stratégie de communication : La cartographie peut également guider notre communication marketing. Si nous choisissons de nous positionner résolument dans le quadrant “valeur élevée / prix élevé” (offre premium), alors notre communication devra insister sur l’exceptionnalité de la valeur offerte, justifiant le tarif premium (mises en avant de nos avantages uniques, témoignages de clients soulignant le ROI, etc.). Si au contraire nous jouons la carte “meilleur rapport qualité-prix”, il faudra communiquer sur le côté malin de choisir notre offre, sur la preuve que malgré le prix accessible la qualité est au rendez-vous. En somme, notre USP (Unique Selling Proposition) doit être cohérente avec l’endroit où nous nous situons sur la matrice. La matrice peut même révéler que ce que valorisent les clients n’est pas ce qu’on pensait : en analysant la valeur perçue, on découvre peut-être que les clients attachent beaucoup d’importance à un critère particulier où nous excellons – utilisons cela dans nos messages pour se distinguer plus clairement des concurrents. Communiquer la valeur est essentiel pour maintenir notre position : un produit peut avoir objectivement une grande valeur, si les clients ne la perçoivent pas faute d’information ou de compréhension, ils n’accepteront pas le prix. Assurons-nous donc que notre proposition de valeur soit clairement articulée et visible, afin de maximiser la valeur perçue dans l’esprit du public cible.

En conclusion, cartographier nos concurrents grâce à la matrice prix/valeur perçue nous donne un avantage stratégique concret. En visualisant l’ensemble du marché sur ces deux axes fondamentaux, nous comprenons où chacun se situe et pourquoi. Cet outil accessible nous force à adopter le point de vue du client – à réfléchir en termes de valeur apportée et non seulement de coûts ou de caractéristiques techniques. Pour des dirigeants de PME, c’est une aide précieuse pour prendre du recul : sommes-nous cohérents dans notre positionnement ? Quel espace voulons-nous occuper dans l’esprit du client par rapport aux autres ? Faut-il ajuster notre offre ou notre prix ? La matrice offre une base factuelle pour répondre à ces questions, en s’appuyant sur des données de concurrence et de perception client. En identifiant les zones saturées, nous évitons de foncer tête baissée dans la mêlée des prix cassés ou des offres banalisées. En repérant les niches et opportunités, nous pouvons orienter l’innovation là où elle fera la différence. En détectant les déséquilibres, nous anticipons les ajustements nécessaires soit pour exploiter la faiblesse d’un rival, soit pour corriger notre propre trajectoire. Au final, cartographier la concurrence de la sorte guide nos choix de différenciation (se positionner autrement que les concurrents) et d’innovation (apporter plus de valeur là où il en manque), sans jamais perdre de vue l’équation fondamentale du marketing : un client choisit l’offre qui lui offre la meilleure valeur pour le prix qu’il paie. À nous de trouver et d’occuper la case idéale sur la matrice pour conquérir durablement notre marché.

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