Comprendre l’enjeu de la mortalité des chauves-souris liée aux éoliennes
Les chauves-souris sont des maillons essentiels de nos écosystèmes (elles consomment d’innombrables insectes ravageurs) et toutes les espèces européennes sont protégées. Or, le développement des éoliennes pose un défi de cohabitation : ces « géants du vent » peuvent malheureusement tuer des chauves-souris. Deux mécanismes sont en cause :
- Collision directe avec les pales en rotation, qui est souvent fatale sur le coup.
- Barotraumatisme, un phénomène lié aux turbulences : le passage des pales crée des variations brutales de pression de l’air, causant des hémorragies internes mortelles pour ces petits mammifères.
On pourrait penser que les chauves-souris évitent instinctivement ces grandes machines bruyantes. Pourtant, ce n’est pas si simple. Des chercheurs suggèrent un effet d’attraction des éoliennes sur certaines chauves-souris : par curiosité (elles pourraient prendre le mât pour un grand arbre), pour chasser les insectes attirés par la chaleur de la nacelle, ou même pour s’abreuver avec l’eau de condensation sur la tour. Ainsi, loin de fuir, certaines chauves-souris s’aventurent près des pales – avec les risques que cela comporte.
Un danger accru « en altitude » pour les espèces de haut vol
Ce problème est particulièrement marqué en altitude, c’est-à-dire à la hauteur des pales des éoliennes. La plupart des chauves-souris chassent relativement près du sol ou des arbres (généralement en dessous de 30 m de hauteur). Mais quelques espèces, notamment migratrices, volent suffisamment haut pour croiser la trajectoire des pales. C’est le cas par exemple de la Noctule commune (Nyctalus noctula) et de la Pipistrelle de Nathusius (Pipistrellus nathusii), fréquemment retrouvées parmi les victimes. Avec la tendance à construire des éoliennes toujours plus hautes, ce risque en altitude est devenu un enjeu majeur.

Il faut aussi réaliser que les chauves-souris ont une biologie particulière : elles se reproduisent lentement (souvent un seul petit par an) et vivent longtemps. Cela signifie que chaque mortalité compte pour la conservation des populations. Réduire ces pertes accidentelles est donc crucial pour concilier énergie éolienne et protection de la biodiversité.
Nouveaux protocoles acoustiques : écouter les chauves-souris à 50 m de hauteur
Pour mieux évaluer et limiter l’impact des éoliennes, les experts ont développé de nouveaux protocoles d’étude acoustique des chauves-souris, en particulier en altitude. Les chauves-souris émettent des ultrasons pour s’orienter (écholocation) : en les enregistrant, on peut détecter leur présence et identifier les espèces. Traditionnellement, les inventaires acoustiques étaient réalisés au sol, ce qui pouvait passer à côté de l’activité en hauteur. Désormais, les études d’impact intègrent des enregistreurs placés en hauteur, à proximité de la zone balayée par les pales.
Concrètement, des microphones ultrasons sont installés soit sur un mât de mesure, soit carrément dans l’éolienne (par exemple sur la nacelle au sommet). Les recommandations récentes préconisent d’effectuer ces enregistrements à 50 m de hauteur minimum, et sur toute la saison d’activité des chauves-souris (de mars à novembre en France métropolitaine). Ainsi, on capture les appels ultrasonores des espèces de haut vol que des capteurs au sol n’auraient pas forcément détectées.
Cette approche technique demande un certain savoir-faire. Il faut protéger le matériel (boîtiers étanches IP66, alimentation par panneaux solaires sur les mâts, etc.), et choisir judicieusement la configuration. Par exemple, placer un seul micro tout en haut peut capter des ultrasons très loin et potentiellement surestimer l’activité en altitude. Pour affiner, les bureaux d’étude utilisent parfois deux microphones à des hauteurs différentes sur un mât : cela permet de distinguer l’activité en dessous et au-dessus de la zone des pales. Grâce à ces données, on peut identifier quelles espèces fréquentent le site et à quelle hauteur elles volent, afin d’estimer le risque de collision le plus précisément possible.
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Bridage nocturne : limiter le fonctionnement des éoliennes pendant les périodes à risque
Écouter et identifier les chauves-souris ne suffit pas : il faut aussi agir pour éviter les collisions. La mesure phare mise en œuvre dans de nombreux parcs est le bridage nocturne des éoliennes. Le bridage consiste à brider (limiter) le fonctionnement des turbines lorsque le risque pour les chauves-souris est élevé – en pratique, cela revient souvent à arrêter temporairement les éoliennes pendant certaines plages horaires ou conditions. Cette solution, déjà appliquée sur la plupart des nouveaux parcs français, a fait ses preuves pour réduire la mortalité des chiroptères.
Comment ça marche ? Les développeurs définissent des scénarios d’arrêt préventif basés sur l’écologie des chauves-souris. Les critères les plus utilisés incluent :
Plages horaires nocturnes : par exemple du crépuscule à l’aube, ou a minima les heures suivant le coucher du soleil (période de chasse maximale des chauves-souris) et avant le lever du jour.
Périodes de l’année ciblées : le bridage se concentre en général sur la saison d’activité des chiroptères, notamment les périodes migratoires de fin d’été et de début d’automne (août-septembre, parfois étendu de juillet à octobre). Ce sont les moments où les espèces sensibles volent beaucoup et couvrent de longues distances..
Conditions de vent : les éoliennes sont programmées pour ne pas démarrer en dessous d’une certaine vitesse de vent. Typiquement, on relève le seuil de mise en marche à 5 m/s ou 6 m/s au lieu d’environ 3 m/s habituels. En-dessous de ce seuil, les rotors restent à l’arrêt, évitant des collisions lorsqu’il fait presque calme (conditions où les chauves-souris sont souvent en vol actif).
Température minimale nocturne : les chauves-souris cessent leurs sorties quand il fait trop froid. On paramètre donc un seuil (par exemple 10-12 °C) en dessous duquel le bridage n’est pas activé. Au-dessus, si les autres conditions sont réunies, on applique l’arrêt des éoliennes.
- Absence de pluie : de fortes pluies découragent l’activité des insectes et des chauves-souris. Un bridage efficace tient compte de la météorologie en ne s’activant que par temps sec ou faible pluie.
En combinant ces critères, on peut définir précisément quand et dans quelles conditions chaque éolienne doit s’arrêter pour minimiser le risque pour les chauves-souris. Par exemple, un plan de bridage type pourrait stipuler : « d’avril à octobre, entre 19h et 2h du matin, stopper l’éolienne dès que la vitesse du vent passe sous 5 m/s, si la température est au-dessus de 12 °C et qu’il ne pleut pas ». Ce genre de dispositif standard permet de réduire la mortalité de plus de 50 %, voire d’éviter jusqu’à 90 % des collisions potentielles dans certains cas.
Bien sûr, ce bridage nocturne a un coût opérationnel : il réduit un peu la production électrique du parc, puisque les éoliennes restent à l’arrêt pendant ces créneaux. Toutefois, ce manque à gagner énergétique reste modéré (de l’ordre de 3 à 4 % de la production annuelle seulement, d’après les retours sur un plan type sans capteurs). C’est un compromis très acceptable au vu des bénéfices pour la biodiversité. D’ailleurs, les autorités environnementales françaises imposent de plus en plus ces plans de bridage dans les autorisations d’exploiter. Depuis l’inscription des éoliennes au régime des Installations Classées (ICPE), même les parcs éoliens déjà en exploitation vont devoir adopter ces mesures. On voit donc se généraliser une nouvelle norme : des éoliennes « intelligentes » qui ralentissent ou s’arrêtent temporairement pour laisser passer chauves-souris (et oiseaux).
Des résultats encourageants : retours d’expérience de parcs éoliens français

Plusieurs parcs éoliens en France ont mis en œuvre ces mesures d’évitement ces dernières années, avec des résultats probants à la clé. Un exemple parlant est celui du parc de Blanc Mont (Grand Est). Tant que le bridage « chauves-souris » était appliqué chaque nuit (jusqu’à fin août 2020), on n’y a relevé qu’un seul cadavre de chiroptère au pied des machines. En revanche, dès que la période de bridage a pris fin, la situation a basculé : lors d’un contrôle le 10 septembre 2020 (nuit non bridée), pas moins de 9 cadavres de chauves-souris ont été découverts sous deux éoliennes. Les enregistrements acoustiques ont confirmé une forte activité de chauves-souris dans la nuit du 8 au 9 septembre, et il se trouvait que le vent était très faible (inférieur à 6 m/s) cette nuit-là. Autrement dit, c’était exactement le type de conditions où un bridage aurait dû être actif. Suite à ce constat, l’exploitant a prévu d’étendre les mesures de bridage à la période de migration de septembre-octobre dès 2021. Ce retour d’expérience a permis d’ajuster le dispositif et d’éviter que le scénario ne se reproduise les automnes suivants.
D’autres exploitants ont également tiré des leçons similaires. Par exemple, dans un parc éolien breton inauguré en 2023 en lisière de la forêt de Lanouée (Morbihan), pas moins de 48 chauves-souris ont été retrouvées mortes au sol en seulement quatre mois (mi-juin à fin septembre 2023) malgré un bridage nocturne partiel mis en place. Ce triste record, documenté lors du suivi écologique, a placé le parc au 2e rang des plus mortifères de la région. Il souligne que des mesures insuffisantes ou mal calibrées peuvent conduire à des mortalités inacceptables, et qu’il est essentiel de constamment améliorer les protocoles.
Heureusement, de nombreuses initiatives positives émergent. Plusieurs parcs ont opté pour des systèmes innovants de détection automatique : des capteurs (ultrasons, radars ou caméras thermiques) repèrent en temps réel l’approche d’une chauve-souris et déclenchent instantanément l’arrêt de la turbine en question. Ces dispositifs intelligents de « bridage dynamique » permettent de limiter les arrêts aux seuls moments nécessaires, évitant de brider inutilement lorsque les chauves-souris sont absentes. Par exemple, l’entreprise Boralex a équipé plusieurs de ses parcs de Systèmes de Détection Automatisés (SDA) pour ne stopper les éoliennes qu’en cas de risque avéré pour la faune volante. Testées dès 2016 et déployées à plus grande échelle à partir de 2020, ces solutions technologiques offrent un compromis prometteur entre production d’énergie et protection de la biodiversité. Bien que chaque site ait ses spécificités, l’ensemble de ces retours d’expérience montre qu’il est possible de concilier éolien et chauves-souris en adaptant les pratiques.
Conclusion : vers une alliance du vent et de la biodiversité
L’exemple des chauves-souris face aux éoliennes illustre bien les défis de la transition énergétique. Il ne suffit pas de produire une énergie renouvelable, encore faut-il le faire de manière durable pour toutes les composantes de l’environnement. Les avancées récentes – protocoles acoustiques en altitude, bridage nocturne intelligent, retours d’expérience partagés – montrent qu’on progresse vers des solutions équilibrées. Protéger les chauves-souris tout en développant l’éolien est un objectif atteignable, grâce à la coopération entre chercheurs, écologues et industriels.
En réflexion finale, on peut saluer le fait que la réglementation et les pratiques évoluent dans le bon sens : aujourd’hui, intégrer la préservation des chauves-souris n’est plus une option, c’est une composante à part entière des projets éoliens. Cette dynamique bénéficie à la biodiversité, sans remettre en cause le déploiement de l’énergie éolienne indispensable contre le changement climatique. Continuons donc à innover et à former les acteurs du secteur pour améliorer encore ces mesures.
Pour aller plus loin, n’hésitez pas à vous former et à sensibiliser autour de vous. Par exemple, notre formation « détermination bioacoustique des chiroptères – niveau intermédiaire » est une excellente occasion d’approfondir vos connaissances et de participer, à votre échelle, à la protection des chauves-souris. Ensemble, faisons en sorte que le souffle du vent continue de tourner nos éoliennes tout en épargnant les ailes de nos précieuses chauves-souris !