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Investir dans la formation bioacoustique des chiroptères : un enjeu stratégique pour les collectivités

22 septembre 2025 par
Investir dans la formation bioacoustique des chiroptères : un enjeu stratégique pour les collectivités
Olivier DUPRE

Face aux crises climatiques et à l’érosion de la biodiversité, les collectivités locales voient désormais la préservation de la nature s’intégrer pleinement à leurs missions de planification et d’aménagement du territoire. Parmi les enjeux émergents, la protection des espèces chiroptères (chauves-souris) occupe une place particulière. Toutes les espèces de chauves-souris en France sont strictement protégées par la législation européenne et nationale. Ces petits mammifères insectivores, inoffensifs et précieux pour les écosystèmes, figurent aujourd’hui parmi les animaux les plus menacés en Europe du fait des activités humaines. Concrètement, cela signifie que tout projet d’aménagement susceptible de les perturber, de les blesser ou de détruire leurs habitats naturels doit faire l’objet de précautions strictes et, le cas échéant, de procédures réglementaires spécifiques. Les acteurs locaux – élus et responsables de services techniques – sont ainsi confrontés à une exigence renforcée de prise en compte des chauves-souris dans les politiques d’urbanisme, d’environnement et de gestion du patrimoine bâti.

Dans ce contexte, investir dans une formation à la détermination bioacoustique des chiroptères s’impose comme une décision stratégique. Former les agents territoriaux à identifier les chauves-souris par l’analyse de leurs ultrasons constitue un atout majeur pour maîtriser les risques et se conformer aux obligations légales. 

Enjeux réglementaires : biodiversité, chauves-souris et obligations légales

La réglementation française et européenne impose aux porteurs de projets d’aménagement une vigilance accrue vis-à-vis des espèces protégées. En vertu du Code de l’environnement (art. L411-1 et L411-2), nul projet ne peut porter atteinte à une espèce protégée sans avoir obtenu au préalable une dérogation exceptionnelle, remplissant des conditions strictes (raison impérative d’intérêt public majeur, absence d’alternative satisfaisante, mesures compensatoires garantissant le maintien de l’espèce). En d’autres termes, détruire ou perturber des chauves-souris est interdit et pénalement sanctionné (amendes, voire peines d’emprisonnement). Cette contrainte s’applique de manière transversale à de nombreuses décisions locales : délivrance de permis de construire, planification urbaine, travaux publics, entretien du patrimoine bâti ou végétal, etc.

Plusieurs dispositifs illustrent la manière dont la prise en compte des chauves-souris s’insère dans les démarches réglementaires actuelles :

Séquence ERC (Éviter, Réduire, Compenser) : Ce principe fondamental de l’évaluation environnementale exige d’abord d’éviter les impacts sur les espèces protégées, puis de les réduire, et en dernier recours seulement de les compenser. Les guides officiels soulignent que la recherche systématique de l’évitement et de la réduction des impacts doit être « l’objectif premier lors de la conduite des projets et des démarches de planification ». Par exemple, dès la conception d’un projet d’aménagement, les maîtres d’ouvrage doivent intégrer des mesures pour éviter de détruire un gîte de chauves-souris ou pour limiter la perturbation de leurs zones de chasse nocturne. Ce n’est qu’en cas d’impacts résiduels inévitables que des mesures compensatoires (création de gîtes artificiels, protection de sites alternatifs, etc.) sont envisagées. Respecter la séquence ERC n’est pas seulement une bonne pratique : c’est une obligation de résultat et de moyens, étroitement contrôlée par l’autorité environnementale.

Natura 2000 et évaluation d’incidences : Si le territoire communal comprend des sites Natura 2000 (réseau européen de zones naturelles d’importance communautaire) abritant des chauves-souris, tout projet d’aménagement doit faire l’objet d’une évaluation d’incidences Natura 2000. Il s’agit de vérifier la compatibilité du projet avec les objectifs de conservation du site. Par exemple, un projet d’urbanisation à proximité d’un site de reproduction de Grand Rhinolophe devra démontrer qu’il n’aura pas d’effet significatif sur l’espèce, faute de quoi il pourra être refusé ou nécessiter des modifications substantielles. Les collectivités sont souvent pilotes ou partenaires de ces procédures : elles doivent donc disposer des informations naturalistes et des compétences pour apprécier les enjeux chiroptérologiques. Sans expertise interne, l’exercice d’évaluation d’incidences doit être confié à des bureaux d’études spécialisés, ce qui alourdit les délais et les coûts.

Autorisations d’urbanisme et dérogations espèces protégées : Lorsqu’un permis de construire ou une déclaration de travaux concerne un site où des chauves-souris sont présentes, l’autorité locale doit s’assurer qu’une démarche de dérogation espèces protégées a été entreprise si nécessaire. En pratique, cela implique souvent de demander au pétitionnaire de fournir une étude d’impact écologique incluant un inventaire chiroptérologique. Un exemple marquant est celui d’un centre de tri postal dans le Gard : le Tribunal administratif de Nîmes, saisi par des associations, n’a pas annulé le permis de construire en lui-même, mais il a annulé l’autorisation environnementale associée car la procédure relative aux chauves-souris n’avait pas été correctement menée. Autrement dit, malgré un permis en règle sur le plan urbanistique, le projet est resté bloqué tant que le volet espèces protégées n’était pas régularisé. Ce cas illustre l’importance, pour les collectivités instructrices, de ne pas délivrer d’autorisation tant que les études sur la faune protégée n’ont pas été réalisées conformément à la loi. Faute de quoi, elles s’exposent à des recours juridiques et à l’annulation de leurs arrêtés.

En somme, le cadre réglementaire actuel oblige les collectivités à une prise en compte rigoureuse des chauves-souris dans les projets d’aménagement. Que ce soit au travers d’études préalables, d’aménagements adaptés (ex : trame noire, passages à faune, calendriers de travaux hors période sensible) ou de procédures administratives spécifiques, l’intégration de ces enjeux ne peut plus être considérée comme optionnelle. Elle est devenue un critère de sécurité juridique des projets. Les élus locaux et les cadres territoriaux doivent en être conscients : ignorer la présence de chauves-souris peut tout simplement faire obstacle à la réalisation d’un projet, ou entraîner des mesures correctives coûteuses a posteriori. Les sections qui suivent détaillent les risques concrets encourus en l’absence de compétences internes, puis les avantages à développer ces compétences via une formation spécialisée.

Risques en l’absence de compétences internes en chiroptérologie


Une pipistrelle commune (Pipistrellus sp.). Ces petites chauves-souris s’installent fréquemment dans les bâtiments urbains et périurbains (toitures, combles), ce qui peut imposer des aménagements spécifiques lors de travaux de rénovation.

Ne pas disposer de personnel formé en interne pour détecter et identifier les chauves-souris peut exposer une collectivité à divers risques opérationnels et financiers. Faute de compétence chiroptérologique en amont des projets, les problèmes sont souvent découverts tardivement ou sous-estimés, ce qui peut entraîner :

  • Des retards de projets et blocages de chantiers : L’exemple de la déviation routière de Nort-sur-Erdre, près de Nantes, est éloquent. En 2024, la découverte inopinée d’une « colonie importante de chiroptères » sur le tracé a forcé le Département à suspendre les travaux afin d’évaluer les impacts et d’obtenir les autorisations réglementaires nécessaires, provoquant « un an de retard minimum » sur le calendrier initial De même, en milieu urbain, des opérations apparemment anodines peuvent être stoppées net par la présence de chauves-souris : à La Mulatière (métropole de Lyon), le chantier d’isolation d’une école maternelle a dû être différé en décembre 2024 lorsqu’il est apparu que des pipistrelles occupaient les combles du bâtiment. Informée par un signalement, une association naturaliste est intervenue et les travaux ont été suspendus le temps d’adopter des mesures de protection. À Bourges, c’est la démolition programmée d’une tour HLM qui a été repoussée de plusieurs semaines car 200 chauves-souris y hibernaient ; le maître d’ouvrage a jugé plus prudent d’attendre la fin de l’hibernation plutôt que de risquer de les détruire. Chaque mois de retard induit par ce genre d’aléa peut avoir des conséquences en chaîne (coûts supplémentaires, indisponibilité prolongée d’équipements publics, pénalités de retard dans les marchés, etc.). On mesure ici l’importance d’anticiper : si la présence de chauves-souris est détectée suffisamment tôt par des agents formés, des solutions peuvent être intégrées au projet (par exemple, planifier la démolition juste après la période d’hibernation, installer des gîtes de substitution à proximité, etc.), évitant ainsi l’arrêt brutal d’un chantier en cours.
  • Des contentieux juridiques et une insécurité administrative : Les associations de protection de la nature, les riverains ou même l’État (à travers la police de l’environnement) n’hésitent plus à attaquer les projets insuffisamment respectueux des espèces protégées. Un maire qui signerait un permis de construire sans s’assurer de la conformité vis-à-vis des chauves-souris prend le risque de voir son arrêté contesté devant le tribunal administratif. Comme on l’a vu, la justice peut annuler une autorisation environnementale si les études chiroptérologiques sont lacunaires. Il en résulte une perte de temps et d’argent considérable, sans parler du risque pour la collectivité d’être tenue pour responsable d’une infraction (délit de destruction d’espèce protégée). Au-delà du judiciaire, il y a aussi le risque d’écorner la crédibilité de la commune : un projet stoppé pour cause de chauves-souris mal prises en compte peut faire les gros titres et donner l’image d’une planification bâclée. À l’inverse, si la mairie démontre qu’elle a bien anticipé ces enjeux, elle sera en position de défendre son projet plus sereinement en cas de recours. Disposer de compétences internes permet d’étayer les dossiers (par des rapports naturalistes solides) et de dialoguer efficacement avec les parties prenantes (services de l’État, associations), réduisant ainsi le risque de contentieux.
  • Des surcoûts liés à la sous-traitance et aux mesures correctives : L’absence de ressources internes oblige souvent à faire appel à des bureaux d’études spécialisés pour réaliser des inventaires de biodiversité ou monter les dossiers de dérogation. Ces prestations externalisées ont un coût non négligeable, surtout si elles doivent être mobilisées en urgence après la découverte d’un problème en phase chantier. Par exemple, mandater en dernière minute une étude acoustique des chauves-souris sur un site peut coûter plusieurs milliers d’euros, sans compter les éventuels travaux supplémentaires pour mettre le projet en conformité (pose de filets, modification de l’éclairage, création de passages à faune, etc.). Au contraire, en formant des agents à la bioacoustique, la collectivité peut internaliser une partie de ces tâches : réaliser elle-même (ou en régie intercommunale) les relevés de terrain préalables, analyser les enregistrements pour détecter la présence d’espèces sensibles, et n’avoir recours à un expert externe qu’en cas de besoin pointu (par exemple, pour une expertise complémentaire sur un site très complexe). Même lorsque l’appel à un bureau d’étude reste nécessaire (pour les plus grands projets), une collectivité compétente en interne sera mieux à même de délimiter le périmètre de la mission, d’en comprendre les devis et d’en contrôler la qualité des rendus. Enfin, si des mesures compensatoires sont imposées (p. ex. aménagement d’un gîte de substitution, suivi écologique post-travaux), des agents formés pourront contribuer à leur mise en œuvre et à leur suivi, là où d’autres devraient prolonger la prestation du bureau d’études. Tout cela se traduit par des économies budgétaires substantielles à moyen terme.

En résumé, l’absence de compétences internes en chiroptérologie expose la collectivité à subir les événements plutôt qu’à les maîtriser. À l’inverse, intégrer la compétence “chauves-souris” dans ses effectifs permet de passer d’une posture réactive (subir des retards, des injonctions, des coûts imprévus) à une posture proactive (planifier, éviter les écueils, optimiser les dépenses). Comme nous allons le voir, la formation proposée par Franchir un cap offre précisément l’opportunité d’acquérir cette autonomie stratégique.

Une formation spécialisée pour monter en compétences :

Pour répondre à ces besoins, des offres de formation à la bioacoustique des chauves-souris se sont développées, à destination des professionnels de l’environnement et des agents territoriaux. La formation de niveau intermédiaire proposée par Franchir un cap est un excellent exemple d’initiative permettant de franchir le pas. Ce cursus intensif s’étale sur cinq jours, alternant enseignements théoriques en salle et sorties pratiques sur le terrain. Encadrée par une chiroptérologue expérimenté, fort de 15 années d’expertise, la formation vise une montée en compétences immédiatement opérationnelle pour les stagiaires. Concrètement, les participants y apprennent à :

Maîtriser l’identification acoustique des chauves-souris, c’est-à-dire à reconnaître les espèces à partir de leurs émissions ultrasonores. Pour ce faire, plusieurs techniques d’écoute et d’enregistrement sont abordées, notamment l’usage de détecteurs à hétérodyne (qui transposent les ultrasons en sons audibles), la méthode d’expansion de temps et l’analyse visuelle des sonagrammes (représentations graphiques des signaux). Les différences entre types de signaux (fréquence constante, fréquence modulée, QCF, etc.) sont détaillées afin d’affiner l’identification des espèces dans diverses situations (vol de chasse, transit, socialisation…).

Utiliser des outils d’analyse spécialisés : les stagiaires sont initiés aux logiciels et algorithmes de pointe dans le domaine de la bioacoustique des chiroptères, comme Sonochiro, ChiroSurf, Tadarida ou **Kaleidoscope. Ces programmes permettent d’analyser de grandes quantités d’enregistrements ultrasonores, d’automatiser en partie la reconnaissance des espèces et d’extraire des indicateurs écologiques (par exemple, établir l’indice d’activité de chaque espèce sur un site donné). Savoir manier ces outils est un gain de temps et de fiabilité précieux pour qui devra, par la suite, dépouiller des nuits entières d’enregistrement effectués sur sa commune.

Comprendre les protocoles de terrain et l’écologie des chauves-souris : la formation ne se limite pas à l’acoustique pure. Elle replace les chauves-souris dans leur contexte écologique et réglementaire. Les participants découvrent les méthodes de prospection de gîtes (repérer les cachettes de jour des chauves-souris, que ce soit dans les arbres creux, les combles d’un bâtiment communal, les ponts, etc.) et apprennent comment planifier des inventaires naturalistes fiables. Des ateliers pratiques sont organisés pour s’exercer à la reconnaissance auditive sur le terrain, avec des sorties nocturnes encadrées chaque soir de la formation. Par exemple, en fin de journée, le groupe part avec du matériel d’enregistrement afin de détecter in situ les chauves-souris présentes sur un site, puis revient en salle pour analyser les données recueillies. Ces allers-retours entre cours magistraux (environ 40 % du temps) et ateliers pratiques (60 % du temps) garantissent une appropriation concrète des savoir-faire, immédiatement transposables au contexte de travail des stagiaires.

Interpréter les enregistrements en vue d’inventaires officiels : Enfin, un volet important de la formation consiste à apprendre à analyser de manière experte des enregistrements ultrasonores et à en tirer des conclusions exploitables dans un rapport d’étude. Les formateurs présentent des cas pratiques tirés de projets réels et guident les participants dans le traitement d’un jeu de données complet, depuis l’extraction des appels de chaque espèce jusqu’à la rédaction d’une restitution type. À l’issue du cursus, les agents sont capables d’autonomiser une campagne d’écoute sur leur territoire (installation des enregistreurs passifs, suivi des batteries, récupération des données), puis d’effectuer le tri et l’analyse des sons récoltés pour dresser la liste des espèces de chauves-souris présentes sur un site donnéfranchiruncap.fr. Cette compétence est directement utile pour alimenter, par exemple, un Atlas de la Biodiversité Communale, un rapport d’incidence Natura 2000 ou une notice d’impact pour un permis de construire.

Coûts et bénéfices : un retour sur investissement pour les services urbanisme et espaces verts

Au premier abord, dégager des moyens pour une formation spécialisée de cinq jours peut sembler être un luxe pour une collectivité aux ressources humaines et budgétaires contraintes. Pourtant, l’analyse coûts-bénéfices penche clairement en faveur d’un retour sur investissement rapide. Voici pourquoi :

  • Réduction des dépenses d’études externes : Comme souligné précédemment, disposer d’un agent formé permet d’éviter de systématiquement externaliser les inventaires de chauves-souris. Le coût d’une formation intensive (quelques milliers d’euros tout au plus, formation et déplacement compris) est à comparer avec le coût récurrent de prestations privées. Or, une seule étude chiropterologique pour un projet communal (par exemple, expertise d’un clocher avant travaux, suivi d’une colonie sur un pont routier, etc.) peut facilement avoisiner plusieurs milliers d’euros. En formant un agent, la collectivité investit une fois et capitalise sur le long terme. Chaque étude que l’agent pourra réaliser en interne représente une économie nette. Même s’il ne réalise pas 100 % des études (il restera des cas complexes nécessitant un expert externe), il pourra en couvrir une partie significative et assister les bureaux d’études sur le reste, ce qui peut réduire la facture globale. Certaines subventions (Agence de l’eau, Région, etc.) peuvent parfois être mobilisées pour financer des formations ou du matériel d’enregistrement, allégeant d’autant l’investissement initial.
  • Moins de retards et d’imprévus = économies indirectes : Les délais engendrent des coûts cachés importants dans les projets (coûts financiers mais aussi coûts “politiques” en termes d’image et de satisfaction des usagers). Un chantier retardé d’un an à cause d’une colonie de chauves-souris découverte tardivement, peut induire des surcoûts de main-d’œuvre, de matériel immobilisé, voire des pénalités contractuelles. En anticipant les contraintes écologiques via un diagnostic interne en amont, on sécurise le calendrier et on évite ces dépenses évitables. Il est difficile de chiffrer précisément ce qui n’a pas eu lieu (combien avons-nous économisé en évitant un contentieux ?), mais les opérations “sans histoire” permettent souvent de sauver des ressources qui pourront être allouées ailleurs. Autre point : un agent formé saura planifier les interventions d’entretien (élagages d’arbres, rénovation de bâtiments communaux) au bon moment de l’année pour ne pas impacter les chauves-souris – par exemple, élaguer hors de la saison de reproduction, ou programmer la réfection d’une toiture après que les jeunes chauves-souris aient pris leur envol. Cela évite d’avoir à prendre en charge des nichées découvertes en plein chantier, ou de devoir arrêter des travaux en urgence. Autant d’astreintes en moins, synonymes d’efficacité accrue.
  • Valorisation patrimoniale et accès à des financements : Intégrer la biodiversité dans ses projets peut également ouvrir l’accès à certaines aides financières ou à des partenariats techniques. Par exemple, de plus en plus de programmes (européens, nationaux ou régionaux) encouragent les démarches exemplaires des collectivités en la matière. L’Union Européenne, via le programme Life, finance actuellement la formation de plus de 1 200 professionnels de l’aménagement urbain à la prise en compte de la biodiversité dans leurs projets. Cette dynamique montre bien que la compétence “biodiversité” est reconnue comme un facteur d’innovation et de qualité dans les politiques publiques. Une commune qui affiche des agents formés sur ces sujets pourra plus aisément rejoindre des réseaux (Parcs naturels régionaux, programmes Engagés pour la nature, etc.) et bénéficier de co-financements pour ses actions. De plus, l’expertise acquise en interne peut servir à valoriser le patrimoine local : par exemple, un agent ayant suivi la formation bioacoustique sera en mesure de conduire des animations nature (Nuit de la chauve-souris dans la commune, sorties pédagogiques en été pour le grand public…), renforçant le lien avec les habitants et la sensibilisation à la richesse écologique locale.
  • Montée en compétence globale du service : Former un agent, c’est souvent faire effet boule de neige au sein du service. Le nouveau chiroptérologue de la collectivité pourra former à son tour ses collègues sur les bons gestes (par exemple, comment réagir si l’on trouve une chauve-souris lors de l’ouverture d’un bâtiment désaffecté ? quels aménagements réaliser sur un arbre dangereux abritant des chauves-souris ?). Il contribuera à créer une culture commune de la prise en compte de la faune sauvage. Sur les dossiers d’urbanisme, il sera la personne-ressource vers qui les instructeurs pourront se tourner en cas de doute. Cette transversalité augmente la réactivité des services : plus besoin d’attendre le rapport d’un prestataire pendant des semaines pour savoir si tel site mérite des mesures de précaution. En interne, l’information circule plus vite. À moyen terme, on observe généralement que la collectivité gagne en autonomie non seulement sur les chauves-souris, mais par extension sur l’ensemble des questions naturalistes (amphibiens, oiseaux, etc.), car la même logique de formation-internalisation peut être déclinée. Cela peut conduire, pourquoi pas, à la création d’un poste dédié à la biodiversité si la taille de la commune ou de l’intercommunalité le justifie. Dans tous les cas, il s’agit d’un investissement immatériel dans le capital humain de la collectivité, investissement qui se traduit par une amélioration durable du service rendu.

La formation à la détermination bioacoustique des chiroptères apparaît non pas comme une dépense superflue, mais bel et bien comme un investissement stratégique. Avec quelques milliers d’euros et une semaine de travail, une collectivité peut se doter d’une capacité interne qui lui fera économiser temps et argent, tout en renforçant sa conformité réglementaire. Les services d’urbanisme et d’espaces verts, en particulier, en tirent des bénéfices directs : projets plus fluides, budgets maîtrisés, et fierté de contribuer à la préservation d’un patrimoine naturel souvent méconnu. 

Des compétences pour une planification territoriale responsable

Investir dans la formation en bioacoustique s’inscrit pleinement dans les objectifs d’une planification territoriale durable et responsable. Au-delà de la simple conformité réglementaire, il s’agit d’intégrer la préservation des espèces dans la vision d’aménagement du territoire, qu’il soit urbain, périurbain ou rural. Plusieurs arguments viennent appuyer cette perspective :

D’abord, les chauves-souris sont d’excellents bio-indicateurs de la qualité des écosystèmes. En ayant la capacité de les inventorier et de suivre leurs populations localement, la collectivité se dote d’un outil de diagnostic environnemental pointu. Par exemple, en Hauts-de-France – région abritant 21 espèces de chauves-souris sur les 34 présentes en France – le suivi des chauves-souris peut révéler l’état des continuités écologiques, la présence de zones humides (riches en insectes dont elles se nourrissent), ou encore l’impact de la pollution lumineuse. Un agent formé sera à même d’interpréter ces signaux et d’orienter la planification en conséquence (par exemple, identifier les secteurs où il est prioritaire de maintenir des trames vertes et trames noires pour assurer la circulation de la faune nocturne). Ainsi, la compétence chiroptérologique devient un atout pour nourrir des documents stratégiques tels que le Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi), les schémas de cohérence territoriale, ou les plans climat (PCAET), en y intégrant la dimension biodiversité de manière fine.

Ensuite, ces compétences s’avèrent précieuses pour innover dans les politiques publiques locales. Prenons l’exemple de la Trame noire, cette démarche récente qui vise à réduire la pollution lumineuse pour restaurer un environnement nocturne propice aux espèces nocturnes (chauves-souris, insectes, amphibiens…). La ville de Douai (Nord) a engagé une réflexion ambitieuse pour mettre en place une trame noire urbaine en se basant sur la distribution des espèces de chauves-souris observées localement. Concrètement, cela signifie que l’éclairage public de Douai est en cours d’adaptation : extinction partielle de l’éclairage dans certaines zones ou sur certains créneaux horaires, utilisation de lampadaires moins impactants pour la faune (spectre lumineux adapté, intensité réduite), etc., afin de créer des corridors d’obscurité permettant aux chauves-souris de circuler d’un parc à un autre. Une telle démarche requiert évidemment des données naturalistes et une expertise pour les interpréter. Là encore, une collectivité dotée d’agents formés pourra plus facilement initier ce type de projet transversal, qui conjugue économie d’énergie, amélioration du cadre de vie nocturne et protection de la biodiversité. Les chauves-souris deviennent alors le catalyseur d’actions innovantes touchant à l’urbanisme (aménager des zones tampons obscures), à la gestion de l’éclairage, voire au tourisme (organisation de balades nocturnes, valorisation du patrimoine naturel…).

Par ailleurs, en milieu rural ou périurbain, la connaissance interne des chauves-souris permet de mieux gérer les espaces verts et naturels. Par exemple, un technicien des espaces verts formé saura repérer les arbres présentant des cavités potentiellement occupées par des chauves-souris (fentes, vieux arbres têtards, etc.) et pourra adapter les pratiques d’élagage en conséquence. De même, lors de la restauration d’un petit patrimoine (chapelles, pigeonniers, anciens moulins), la collectivité sera en mesure d’identifier en amont si ces structures abritent des colonies, et ainsi soit éviter de les déranger, soit les reloger artificiellement à proximité. Cela rejoint les objectifs de gestion différenciée et de respect de la faune locale, qui sont au cœur des politiques environnementales modernes des communes. Une planification territoriale responsable ne cherche pas seulement à compenser les atteintes à la biodiversité, mais bien à les éviter en harmonisant les projets humains avec les cycles de vie des espèces. En se dotant de compétences internes, les collectivités des zones à enjeux écologiques (bocage, vallées, zones humides, zones Natura 2000) gagnent en autonomie pour concevoir des aménagements gagnant-gagnant, où développement local et préservation de la nature vont de pair.

Enfin, il ne faut pas négliger l’aspect sensibilisation et concertation. Avoir en interne des agents capables d’expliquer les enjeux liés aux chauves-souris, avec des données locales à l’appui, facilite grandement le dialogue avec la population et les élus. On constate souvent que les mesures en faveur de la biodiversité suscitent l’adhésion lorsqu’elles sont bien expliquées et portées par des personnes de confiance. Par exemple, justifier la création d’une zone non-constructible dans le PLU parce qu’elle correspond à un corridor à chauves-souris identifié pourra être compris et accepté si l’élu référent ou l’agent écologue sait présenter de manière pédagogique les observations faites sur le terrain (cartes de présence, photographie d’une espèce rare, etc.). Là où une expertise 100 % externe risquerait d’apparaître comme imposée de l’extérieur, l’expertise interne permet de construire un récit local autour de la biodiversité, de montrer que la collectivité connaît et valorise son territoire. .

Conclusion

Former les agents des collectivités à la détermination bioacoustique des chauves-souris n’est plus un simple luxe technique réservé aux naturalistes spécialisés, c’est un investissement stratégique aux retombées multiples. À l’heure où la réglementation exige des porteurs de projets qu’ils intègrent pleinement la préservation des espèces protégées, développer des compétences internes apparaît comme la meilleure façon de répondre à cette exigence de manière efficace et proactive. Nous avons vu qu’une formation ciblée, telle que le cursus intermédiaire de Franchir un cap, permet d’acquérir en quelques jours les savoir-faire essentiels pour identifier les chauves-souris et gérer les projets en conséquence. Le coût initial de la formation est rapidement compensé par les bénéfices : réduction des dépenses de sous-traitance, prévention des retards et des contentieux, optimisation des pratiques d’urbanisme et de gestion des espaces verts, sans oublier l’accès à de nouvelles opportunités (financements, innovations comme la trame noire) et le renforcement de la crédibilité écologique de la collectivité.

Au-delà de la question financière, c’est une véritable montée en compétence de l’organisation qui s’opère. Des services urbanisme et environnement plus autonomes, des élus mieux conseillés, des projets menés dans une optique “éviter plutôt que guérir” – autant d’éléments qui concourent à une planification territoriale durable. Dans des régions comme les Hauts-de-France, où nature et aménagement doivent cohabiter étroitement, disposer en interne de spécialistes de la biodiversité (et en particulier de la faune discrète comme les chauves-souris) devient un gage de qualité pour l’action publique locale.

Investir dans la formation bioacoustique des chiroptères, c’est investir dans un avenir où développement et respect du vivant avancent main dans la main. C’est donner à nos collectivités les moyens de relever les défis écologiques de notre époque avec compétence, pragmatisme et ambition. Ne négligeons pas le pouvoir de la connaissance et de la formation pour faire de nos territoires des espaces réellement durables, où la présence d’une espèce protégée n’est plus vue comme une contrainte, mais comme l’occasion d’innover et de s’améliorer. Les décideurs locaux ont tout intérêt à franchir ce cap.

Sources :

Éolien et chauves-souris : les nouveaux protocoles acoustiques pour limiter la mortalité en altitude