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Lampadaires LED et corridors de vol : concilier éclairage public et protection des chiroptères

25 août 2025 par
Lampadaires LED et corridors de vol : concilier éclairage public et protection des chiroptères
Olivier DUPRE

L’éclairage public moderne, notamment le passage aux lampadaires LED, présente un dilemme entre sécurité urbaine et préservation de la biodiversité nocturne. D’un côté, des rues bien éclairées rassurent les habitants et permettent des économies d’énergie avec la technologie LED. De l’autre, la pollution lumineuse issue de cet éclairage artificiel menace la faune nocturne – en particulier les chiroptères, c’est-à-dire les chauves-souris, qui empruntent des corridors de vol plongés dans l’obscurité. Comment concilier éclairage public et protection des chauves-souris ? Cet article propose un tour d’horizon pédagogique et technique des impacts de la lumière sur ces mammifères volants, des bonnes pratiques inspirées du Plan National d’Actions Chiroptères (PNA) pour y remédier, et des exemples concrets de communes ayant adapté leur éclairage en faveur des corridors écologiques des chauves-souris.

Pollution lumineuse : un danger pour les chauves-souris et la biodiversité nocturne

Aujourd’hui, 85 % du territoire français est exposé à un niveau élevé de pollution lumineuse. Cette omniprésence de la lumière artificielle a des effets délétères sur la biodiversité nocturne. Les chauves-souris, en particulier, sont très sensibles à l’éclairage artificiel : cela perturbe leurs habitudes de vol, de chasse et de reproduction. Un excès de lumière peut même raréfier ou éloigner les insectes dont elles se nourrissent, appauvrissant leur alimentation. À l’échelle de l’écosystème, la lumière nocturne crée ainsi un déséquilibre qui touche en cascade insectes, oiseaux nocturnes, amphibiens, mammifères et même la flore.

Les chauves-souris évitent généralement les zones éclairées, ce qui restreint leur territoire de chasse et complique leurs déplacements. Révélées par un éclairage vif la nuit, elles deviennent en outre des proies plus faciles pour leurs prédateurs naturels (chouettes, faucons). Des études montrent qu’elles peuvent perdre de précieuses opportunités de chasse : par exemple, un simple halo lumineux de 2 lux près de leur gîte peut retarder d’une heure la sortie de certaines espèces, réduisant d’autant leur temps d’alimentation. Un bâtiment patrimonial illuminé la nuit sera souvent déserté par les chauves-souris qui y résidaient. De même, l’installation d’un lampadaire – même à LED – éclairant le toit d’un grenier peut suffire à faire fuir une colonie de Pipistrelles. La lumière artificielle crée ainsi de véritables barrières dans le paysage nocturne : des zones trop éclairées peuvent devenir infranchissables pour les chauves-souris, fragmentant leurs habitats et isolant leurs populations sur le long terme.

Enfin, la composition spectrale de la lumière joue un rôle. Les LED blanches classiques émettent une forte composante en lumière bleue et ultraviolette, qui attire de nombreux insectes tout en repoussant les chauves-souris lucifuges (fuyant la lumière) . Ces « pièges lumineux » vident les alentours de leurs insectes, privant certains chiroptères de nourriture, tandis que d’autres chauves-souris plus téméraires qui s’aventurent à chasser autour des réverbères s’exposent à des prédateurs. On le voit, l’éclairage nocturne mal adapté représente un stress majeur pour les chauves-souris, ajoutant une pression supplémentaire sur des espèces déjà menacées.

Bonnes pratiques pour un éclairage public respectueux des chiroptères

Heureusement, il est possible de réduire l’impact de l’éclairage public sur la biodiversité tout en maintenant un niveau de lumière compatible avec les usages humains. Le Plan National d’Actions Chiroptères (PNA) préconise une approche raisonnée de l’éclairage, en jouant sur plusieurs leviers : la durée d’allumage, l’intensité, la couleur des lampes, l’orientation des luminaires et l’aménagement de zones d’ombre. Voici quelques bonnes pratiques issues du PNA et d’autres recommandations d’experts, pour guider les collectivités dans la conciliation entre éclairage public et protection des chauves-souris  :

Réduire le nombre de points lumineux inutiles – Supprimer les lampadaires superflus ou redondants permet de diminuer la pollution lumineuse à la source . Un éclairage bien planifié privilégie la qualité à la quantité.

Limiter la durée d’éclairage et n’allumer que lorsque nécessaire – Mettre en place une extinction partielle pendant la nuit (par exemple de 1 h à 5 h du matin) sur les plages horaires où la circulation est quasi nulle . Éviter l’allumage en continu en équipant si possible les luminaires de détecteurs de présence, de sorte qu’ils ne s’allument qu’au passage d’un piéton ou d’un véhicule.

Diminuer l’intensité lumineuse – Adapter le niveau d’éclairement au strict besoin. Inutile de sur-éclairer une rue calme : on peut abaisser l’intensité ou installer des LED dimmables. Dans les zones sensibles pour la faune, viser un éclairement au sol très faible (de l’ordre de 0,1 lux) est conseillé .

Orienter la lumière et éviter sa dispersion – Diriger les faisceaux vers le bas et uniquement sur les zones à éclairer, à l’aide de dispositifs de casquette ou de luminaires bien conçus. Il s’agit d’empêcher toute intrusion de lumière vers les espaces naturels voisins (berges, lisières, toits) : on peut installer des écrans (murs, haies végétales) faisant office de barrière lumineuse et veiller à ce qu’aucun faisceau n’éclaire au-delà de la voie publique .

Préserver des zones d’ombre “tampon” – Autour des sites particulièrement sensibles (par exemple les gîtes de reproduction des chauves-souris) et le long de leurs routes de vol habituelles, il est primordial de conserver des zones sans éclairage . Ces corridors noirs servent de refuges et de passages sécurisés pour les chiroptères la nuit. En pratique, cela signifie ne pas installer de lampadaires à proximité immédiate des haies, des cours d’eau ou des entrées de cavités abritant des colonies, afin de maintenir autour de ces habitats un halo d’obscurité protecteur.

Choisir un éclairage à spectre adapté – Toutes les lumières ne se valent pas pour la biodiversité. Il convient d’éviter les lampes à forte composante bleue ou UV (comme les LED blanches froides) qui sont parmi les plus perturbantes pour les insectes et chauves-souris . À l’inverse, on privilégie des lumières “chaudes” à spectre restreint : idéalement des ampoules ambre/orange avec une température de couleur inférieure ou égale à 2700 K . Les études montrent que ces éclairages ambrés (voire rougeâtres) sont beaucoup moins gênants pour la faune nocturne, tout en restant discrets pour l’œil humain la nuit. D’ailleurs, la réglementation française encadre désormais ces aspects : depuis 2019, les nouvelles installations ne doivent plus dépasser 3000 K en température de couleur dans de nombreux lieux, encourageant l’usage de teintes plus douces compatibles avec la trame noire .

Des communes pilotes adaptent leur éclairage public pour les chauves-souris

Plusieurs collectivités, conscientes de ces enjeux, ont déjà entrepris d’adapter leur éclairage public afin de protéger la biodiversité nocturne et les corridors écologiques empruntés par les chauves-souris. Voici quelques communes pilotes qui illustrent concrètement ces changements :

  • Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) – Cette ville bretonne a adopté dès 2022 l’extinction de l’éclairage public en cœur de nuit (entre 1 h 30 et 5 h 30 du matin) afin de « restaurer la nuit » pour la faune. En 2023, Saint-Malo a également installé des horloges astronomiques permettant de moduler l’éclairage par quartiers et de n’allumer que là et quand c’est nécessaire . Ces actions font partie d’un Plan Biodiversité ambitieux de la ville, qui intègre la préservation des chauves-souris dans la gestion du service d’éclairage public.
  • Saint-Jeannet (Alpes-Maritimes) – Commune rurale de Provence, Saint-Jeannet est devenue en 2017 la première commune pilote de la Métropole Nice Côte d’Azur en matière de lutte contre la pollution lumineuse. Elle a éteint environ 47 % de ses lampadaires entre 23 h et 5 h, ce qui représente une économie annuelle de 93 500 kWh (environ 9 500 €) . Surtout, la commune a fait installer des LED de couleur orangée dans les secteurs à forte biodiversité et le long de certains corridors écologiques sensibles. Ces lampes ambrées n’émettent pas de lumière bleue et sont bien plus respectueuses de la santé des écosystèmes, tout en assurant un niveau de luminosité suffisant au sol . Le résultat attendu est une réduction de la pollution lumineuse sans compromettre la sécurité, et une meilleure cohabitation avec les chauves-souris (présentes en grand nombre, comme le Petit Rhinolophe, dans cette commune).
  • Jette (Bruxelles, Belgique) – En milieu urbain dense, la commune bruxelloise de Jette a innové en transformant une artère en “Bat Light District”. À partir de 2021, une trentaine de lampadaires de l’avenue du Sacré-Cœur ont été équipés en LED orangées – une première en zone résidentielle bruxelloise . Cette avenue traverse en effet un couloir de vol fréquenté par les chauves-souris, reliant deux parcs urbains . Les relevés bioacoustiques menés par des naturalistes ont confirmé la présence de nombreuses chauves-souris dans ce secteur, guidant le choix d’un éclairage spécialisé . Désormais, grâce à cette teinte ambrée qui perturbe beaucoup moins les espèces nocturnes, les chauves-souris locales peuvent emprunter leur trajet nocturne avec moins de gêne lumineuse. L’initiative bénéficie aussi aux habitants en réduisant la consommation électrique et en améliorant la qualité du ciel nocturne.

👉 Le saviez-vous ? L’identification précise des couloirs de vol empruntés par les chauves-souris repose souvent sur des études de terrain utilisant des enregistrements ultrasonores. Le suivi des signaux acoustiques permet de cartographier les déplacements nocturnes des chiroptères . Pour les écologues ou techniciens souhaitant monter en compétence dans ce domaine, il existe des formations dédiées. Par exemple, la formation à la détermination bioacoustique des chiroptères – niveau intermédiaire proposée par Franchir un cap offre 5 jours de cours et de sorties nocturnes pour apprendre à reconnaître les chauves-souris à leurs ultrasons et mieux prendre en compte leurs habitats dans les projets d’aménagement. Ce type de formation donne aux acteurs de terrain les clés pour décoder l’activité des chiroptères et ainsi adapter au mieux l’éclairage nocturne en faveur de la biodiversité.

Conclusion : vers une « trame noire » compatible avec l’éclairage public

Reconcilier éclairage public et protection des chiroptères est un objectif à portée de main, à condition d’adopter une nouvelle vision de l’éclairage : plus sobre, plus intelligent et pensé en fonction des écosystèmes. Les bonnes pratiques présentées – extinction partielle, réduction de l’intensité, lumière chaude, zones tampons obscures, etc. – montrent qu’il est possible d’éclairer juste ce qu’il faut, où il faut, quand il faut, sans plonger les citoyens dans le noir complet. De nombreuses communes, grandes et petites, peuvent s’inspirer des exemples pilotes comme Saint-Malo ou Saint-Jeannet pour élaborer leur propre plan d’action (« trame noire ») et ainsi adapter l’éclairage public au rythme de la nature.

Il est urgent d’agir : chaque nouveau projet d’éclairage devrait intégrer dès sa conception les enjeux de biodiversité nocturne (ce que le PNA Chiroptères encourage activement). Les bénéfices vont au-delà des chauves-souris : en limitant la pollution lumineuse, on protège l’ensemble du vivant nocturne, on réalise des économies d’énergie significatives, et on permet aux humains de revoir un ciel étoilé. Que l’on soit élu local, technicien ou simple citoyen, chacun peut contribuer – en modifiant les horaires d’éclairage, en choisissant des ampoules plus adaptées, en végétalisant les abords pour filtrer la lumière ou en sensibilisant son entourage. Ensemble, redonnons la nuit à la biodiversité tout en éclairant nos villes de manière raisonnée : c’est en conciliant ces deux mondes que nous franchirons un cap vers des territoires à la fois sécurisés et vivants.

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